La France est-elle un Etat de droit fiscal ?

Tribune publiée sur le site Internet de L’Agefi Actifs le 25 octobre 2016

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La France est-elle un Etat de droit fiscal ? La question mérite d’être posée à la lecture de l’article 4 du projet de loi de Finances pour 2017 présenté en Conseil des ministres le 28 septembre.

Cet article vise, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à lutter contre des «stratégies d’optimisation fiscale abusive détournant le dispositif (du plafonnement de l’ISF) de sa finalité».

Rappelons que ce dispositif est destiné à empêcher qu’un redevable paie plus de 75% de ses revenus en impôts. 

Afin de priver d’effet ce mécanisme, l’article 4 du projet de loi de Finances prévoit que les redevables de l’ISF qui contrôlent une société soumise à l’impôt sur les sociétés pourraient être contraints de prendre en compte, dans le calcul du plafonnement de leur ISF, les revenus perçus par cette société quand bien même ladite société ne leur redistribue aucun revenu.

Cette tentative d’intégrer, dans le calcul du plafonnement de l’ISF, des revenus fictifs n’est pas une première. En effet, une mesure similaire avait déjà été insérée dans le projet de loi de Finances pour 2013. Elle avait été censurée par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2012.

Le Conseil constitutionnel avait alors considéré qu’en intégrant «dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement (…) des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé, (…) le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l’exigence de prise en compte des facultés contributives» et que, par suite, les dispositions en cause devaient être déclarées contraires à la Constitution.

Il est surprenant que le gouvernement ne fasse aujourd’hui aucun cas de cette décision.

A dire vrai, la surprise n’est pas totale puisqu’il ne s’agit pas de la première tentative de remise en cause de cette décision du Conseil constitutionnel.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2012, avait censuré la disposition assimilant à un revenu réalisé pour le plafonnement de l’ISF, le bénéfice distribuable, mais non distribué, d’une société soumise à l’IS contrôlée par le redevable.

Mais le Conseil constitutionnel, dans la même décision, avait également censuré la disposition qui assimilait à un revenu réalisé les intérêts capitalisés au sein d’un contrat d’assurance vie ou d’un contrat de capitalisation détenu par le redevable.

Pourtant, en juin 2013, faisant fi de cette décision du Conseil constitutionnel, l’administration fiscale a publié une instruction dans laquelle elle a indiqué que les intérêts acquis sur le fonds en euros des contrats d’assurance vie ou de capitalisation constituaient un revenu à prendre en compte pour le plafonnement de l’ISF.

Parallèlement, en octobre 2013, faisant également fi de cette décision, un amendement au projet de loi de Finances pour 2014 était déposé pour tenter d’inscrire dans la loi le fait que les intérêts des fonds en euros des contrats d’assurance vie ou de capitalisation constituaient un revenu pour le plafonnement.

Ces deux tentatives de remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel furent censurées en décembre 2013. La première par le Conseil d’Etat, la seconde par le Conseil constitutionnel.

Dans cette nouvelle décision, le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner qu’en adoptant des dispositions analogues à celles censurées l’année précédente, le législateur « avait méconnu l’autorité qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel ». Il est donc pour le moins surprenant que le projet de loi de Finances présenté par le gouvernement cette année méconnaisse à nouveau l’autorité de la chose jugée.

Ajoutons que lors de son examen par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le problème de constitutionnalité de l’article 4 du projet de loi de Finances a été évoqué.

Pourtant, plutôt que d’adopter un amendement de suppression de cet article, la Commission des finances de l’Assemblée nationale a, au contraire, adopté un amendement élargissant sa portée. En effet, selon cet amendement, pourraient également être intégrés dans les revenus à prendre en compte pour le plafonnement les «emprunts effectués par les contribuables pour financer leurs dépenses courantes».

Le Conseil constitutionnel devrait donc être amené à être saisi une troisième fois sur la définition de ce qu’est ou n’est pas un revenu. Un emprunt, qui doit être remboursé, n’est assurément pas un revenu pour l’emprunteur, pas plus que le bénéfice d’une société n’est un revenu pour ses actionnaires tant qu’une distribution de dividendes n’a pas été votée.

 

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Stéphane Jacquin

Associé-Gérant, Responsable de l'ingénierie patrimoniale